Aller au contenu

Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
LES DEUX TESTAMENTS

jours soumise sans murmures à ses décrets.

— Le bon Dieu le veut, disait-elle à ceux qui la plaignaient.

Mais sa résignation et sa confiance ne l’empêchaient pas de sentir son cruel isolement.

Depuis le jour du départ du jeune orphelin, la pauvre grand’mère n’avait pas joui d’un seul instant de calme et de paix. Son esprit inquiet se représentait toujours son enfant chéri en butte aux mauvais traitements de camarades méchants et tyranniques, ou aux sévérités outrées de ses maîtres.

Cette pensée la rendait si malheureuse qu’elle regrettait de l’avoir laissé partir, d’autant plus qu’elle se disait maintenant qu’on aurait pas dû exiger qu’elle chassât aussi loin d’elle, sa seule et dernière consolation.

Elle se livrait donc à son chagrin qui augmentait au lieu de diminuer, car seule et isolée comme elle vivait, il n’y avait rien pour la distraire de ses pensées affligeantes.

Ce qui pourrait sembler étrange, c’est que ses locataires et ses voisins ne la visitaient pas.

Le veuf, qui craignait toujours que les gens n’en n’apprissent trop long sur les affaires de la veuve et sur les siennes, avait pris soin depuis longtemps d’avertir les locataires, chez qui il allait toucher l’argent des loyers, que sa belle-mère n’aimait pas à être dérangée, dans sa solitude, et qu’elle n’aimait pas les visites.

Les locataires et les voisins les plus sympathiques ou les plus curieux avaient fini par oublier presque l’existence de la vieille femme, et pour eux, comme pour tout le monde, le véritable maître des propriétés, c’était le veuf.

Elle priait donc en ce moment la pauvre femme.

Abandonnée de tout le monde, elle se tournait avec plus de ferveur vers son créateur et vers sa divine mère, la « consolatrice des affligés. »

Elle priait pour elle-même, mais encore plus pour son petit-fils qui en avait certainement besoin, le pauvre petit malheureux.

Tout à coup une étrange lassitude s’empara de son esprit et de son corps.

Ses doigts raidis refusèrent de compter plus longtemps les grains du chapelet et se refermèrent avec une crispation nerveuse.

Sa tête alourdie, qu’elle chercha vainement à soulever resta appuyée sur le dossier de sa chaise berçante.

Elle voulut faire un effort pour se lever debout, elle chercha à secouer cet engourdissement qui lui faisait peur, mais ses membres re-