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tes, il était nécessaire qu’elles eussent le souvenir du passé, afin de pratiquer les vertus qu’elles auraient autrefois négligées, et ne pas recommencer le même cercle de misères et d’imperfections qu’elles avaient antérieurement parcouru : et dès lors, il serait contradictoire d’admettre que leur passage dans un nouveau corps aurait aboli en elles toute mémoire du passé. Dans la vie actuelle, n’arrive-t-il pas que les choses que l’âme perçoit pendant le sommeil, et le repos du corps, sont ensuite, après le réveil, rendues sensibles aux organes de ce corps lui-même ? C’est souvent même après un assez long espace de temps que cette opération a lieu, et que l’on raconte ce que l’on a vu jadis en songe : ainsi l’âme devrait, dans l’hypothèse de la transmigration, se ressouvenir des choses qui se sont opérées en elle avant sa dernière métamorphose. Car, si elle se rappelle les conceptions les plus fugitives, et les perceptions dont elle a eu seule la conscience pendant le sommeil, à plus forte raison devrait-elle se souvenir de ce qu’elle a fait durant longtemps, et quelquefois durant un siècle entier de sa vie antérieure.

Platon, philosophe de l’antiquité, fut le premier qui imagina ce dogme ; mais ne sachant comment échapper à la contradiction que nous avons signalée, il supposa que les âmes buvaient un breuvage d’oubli, qui leur était administré au moment où elles entrent dans un nouveau corps, par le génie qui préside à la sortie des âmes de cette vie. Il est évident que par cette supposition ce philosophe est tombé dans une autre contradiction encore plus flagrante. Car, si le breuvage d’oubli a le pouvoir d’anéantir le souvenir de tous les faits antérieurs, nous dirons à Platon : comment, s’il en est ainsi, pouvez-vous savoir cela, maintenant que votre âme habite un nouveau corps, et qu’elle a bu le breuvage d’oubli avant que d’y entrer ? Si vous vous souvenez et du breuvage, et du génie qui vous l’a présenté, et de votre entrée dans un corps nouveau, il faut admettre que vous vous souvenez pareillement de tous les faits antérieurs de votre première existence ; mais si vous n’avez aucun souvenir de ces faits antérieurs,