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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


en sa qualité de gouverneur de Paris, la procédure que, ministre, il avait consenti « à ne pas jeter à travers les instances déjà engagées »[1], c’était à Chanoine lui-même de le frapper pour établir sa propre loyauté, et c’était un motif de plus de l’appeler à s’expliquer. Aussi bien la version de Chanoine ne résistait pas à l’examen, puisqu’il avait été convenu avec lui-même (il y avait deux jours) « de réserver l’affaire de la poursuite en faux jusqu’après le jugement correctionnel ». Mais Sarrien, après en avoir fait la remarque, n’insista pas ; pour Brisson, il ferma les yeux, aima mieux en croire l’ami de Bourgeois et de Vallé, « qui avait accepté le portefeuille avec une rondeur qu’on ne saurait dire »[2], et qui l’avait consulté sur la succession d’Henry. Tout l’effort qu’il fit, ce fut une requête à Chanoine « de retirer la lettre adressée par Zurlinden au procureur général, de suspendre les effets de l’ordre d’informer », ce que Chanoine repoussa, et de ne pas transférer Picquart au Cherche-Midi (la prison de la Santé fût devenue ainsi le symbole de la suprématie du pouvoir civil) ; mais, ici, bonne ou mauvaise, la loi, au moins la lettre de la loi, était contre lui[3].

Il faut entendre Brisson juger ce coup d’audace des soldats, qui n’avait été possible que par ses fautes et qu’il couvrit de son impuissance, c’est-à-dire se juger lui-même : « Le Gouvernement est dessaisi… Les ressorts de toutes les lois sont tendus à l’excès et faussés. Les

  1. Souvenirs de Brisson. (Siècle du 31 août 1903.)
  2. Siècle du 28.
  3. Siècle des 28 et 31. — Chanoine, d’après Brisson, dit simplement que, « l’ordre d’informer étant pris, cela était bien difficile ». Sur l’article 60 du Code de justice militaire, Brisson convint que « l’apparence superficielle du texte était opposée à son interprétation… J’avais raison en droit ; en gros et en fait, je semblais me tromper. »