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LE DESSAISISSEMENT

La réponse de la Chambre ne se fit pas attendre ; tout de suite, une fois de plus, elle livra la justice, livra les juges. Ce fut l’affaire d’une séance.

Les meneurs ordinaires (Millevoye, Lasies, Cassagnac), qui interpellaient sur la démission de Quesnay, avaient satisfaction avant de parler, puisque Lebret avait déjà prescrit la nouvelle enquête ; mais cela ne leur suffisait pas. Bien que le crédit de la Chambre eût fort baissé, les injures qui tombaient de la tribune avaient plus de poids que celles de la presse. Lasies traita Manau, Bard et Lœw de « trio de coquins[1] ». Cassagnac bouffonna sur le mode pathétique : « Qu’avez-vous fait de tout ce que l’on aime, de tout ce que l’on respecte ? »

Lebret trouva moyen d’être au-dessous de lui-même : il attesta d’abord qu’il était resté, « comme citoyen et comme député, fidèle à ses sentiments », — c’est-à-dire l’adversaire de la Revision, — et, après avoir raconté assez exactement les faits, se targua des avis qu’il avait donnés à Bard et à Lœw. Dupuy, qui avait protesté contre les grossièretés de Lasies et menacé de quitter la salle des séances si la discussion se continuait sur ce ton, s’empressa, dès qu’il fut à la tribune, de céder sur le fond ; il appuya son garde des Sceaux d’un doute injurieux pour les magistrats : « Nous saurons par l’enquête ce qui en est et ce qui doit en résulter… Et maintenant, laissons cette affaire. »

Encore une fois, il avait trouvé le mot qui irait au cœur de la majorité ; il y avait longtemps qu’elle avait assez de Dreyfus, des innocents et des coupables, qu’elle eût voulu qu’on ne lui en parlât jamais.

Cavaignac, poursuivant l’humiliation de Lebret jus-

  1. Deschanel le rappela à l’ordre.