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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/198

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lui collaient à la peau, il riposta lestement : « Assassin, voilà ! » et alla s’asseoir au banc des ministres, d’où il regarda les braillards en face.

Il y avait dix ans que Waldeck-Rousseau n’était entré à la Chambre et elle avait fort changé. Accoutumé au calme des prétoires civils et du Sénat, il ne fut pas seulement surpris et écœuré, mais privé de ses moyens, par les façons, nouvelles pour lui, des hommes de sport et des hommes d’estaminet qui avaient succédé aux parlementaires d’autrefois, leur vacarme continu, la grossièreté et la vilenie des interruptions. À peine put-il donner lecture de la déclaration ministérielle ; la voix, sous les clameurs et les injures, lui resta au gosier ; la mince feuille de papier tremblait dans sa main. Quelqu’un[1] lui cria : « Vous tremblez ! » Dauzon (de Lot-et-Garonne) : « Il n’y en aurait pas un de vous qui aurait le courage de faire ce que fait M. Waldeck-Rousseau en ce moment ! » Il se crut « dans une cage de fauves[2] ».

La déclaration ne formulait aucun programme, au sens ordinaire du mot, c’est-à-dire une énumération de réformes et de promesses, mais, ce qui était toute la politique possible, un appel à l’union des républicains « pour maintenir intact le patrimoine commun » et « permettre à la justice d’accomplir son œuvre dans la plénitude de son indépendance ». « C’est le mandat le plus large que nous sollicitons, c’est notre responsabilité la plus entière que nous engageons devant vous. »

Qu’y avait-il autre chose à dire ? La Chambre était incapable (momentanément) de légiférer, et aucune

  1. « Un membre à gauche. » (Compte rendu sténographique.) L’éditeur des discours de Waldeck-Rousseau (Défense Républicaine, 11) attribue l’interruption à Pierre Richard, député nationaliste de la Seine, nommé plus tard par Delcassé, sous le ministère Combes, au consulat général de la Nouvelle-Orléans.
  2. Clemenceau, loc. cit.