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NOTES 103

pillée, papillotante, « la chair est triste hélas... », il fallait à tout ceci un musicien. Erik Satie, alors très jeune et peu pressé de « produire », se résen-a. On imagine ce qu'aurait pu être la partition qu'il rêva alors un moment pour la « Princesse Maleine ». Mais seul Claude Debussy devait gagner une partie décisive.

Le Prélude à V Après-Midi d'un Faune, les Nocturnes, les Chan- sons de Bilitis, Pelléas : voici ce qui sauva vraiment la musique française. Oublions un instant que c'est ce qui. hier, faillit bien la perdre. De telles œuvres firent vraiment revivre notre art. Beethoven, Wagner, sonates, grands opéras, il fut enfin permis de se délivrer de ces disciplines fatales. Sans doute un poncif nouveau était né, mais qui permettrait en tout cas à une musi- que de France de grandir en liberté — quitte à se transformer un jour de la façon peut-être la plus imprévue. Pour tout cela nous admirerons toujours Debussy et d'autant mieux que nous nous sentirons plus éloignés du charmant mystère de son œuvre. On connaît la lassitude de l'éclectisme et c'est pour cela que je ne puis être juste envers la musique d'un Ravel, un « vivant «  cependant, alors que j'aime tant celle de Debussy, si loin pour- tant de ce qui peut être mon goût personnel. Mais c'est qu'il rejoint en moi, comme en tous mes amis, et, je pense, en tout cœur, qui sait encore battre, cette tendresse profonde qu'il ne s'agit plus de cacher et avec laquelle je souhaite ne jamais jouer. A ce point, on peut alors confondre et mêler bien des choses extrêmes : refrains de Mayol, valses de Chopin, certains airs entendus le soir dans des petits cafés de province et que tournaient sans fatigue des pianos mécaniques, tant de pages de Mozart plus douces que les plus douces caresses... Nous aurons un jour à préciser et à affirmer nos goûts. Mais il était bon de rendre tout d'abord cet hommage à un grand artiste français que nous n'avons jamais méconnu. Si la formule debussyste nous importune, si nous désirons aujourd'hui de plus fortes nourritures, nous n'oublierons pas trop un maître de génie.

C'est à tout ceci que je songeais en écoutant, l'autre soir, au Théâtre des Champs-Elysées, Jeux, le ballet de Claude Debussy que nous présentait la troupe des Ballets Suédois de M. Jean Berlin.

GEORGES AURIC

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