Page:Régnier - Les Rencontres de monsieur Bréot, 1904.djvu/135

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de ce qui avait rapport à mon petit personnage. Ce fut ainsi que j’appris que mon sort présent, qui me convenait assez, était mal assuré. Je regardais comme naturel de trouver, quand je rentrais de mes escapades, la tranche de pain tendre et l’écuelle de soupe chaude : aussi fus-je un peu déconcerté lorsque j’entendis qu’il me faudrait, un jour, mériter cette pitance par autre chose que par des gambades et des jeux. La pensée d’un travail quelconque me parut tout de suite insupportable.

» La profession de mon père et le gain médiocre qu’il en tirait ne m’engageaient guère. Certes, la matière ne m’en déplaisait pas. J’aimais les beaux carrés d’étoffes qu’on lui donnait à façonner. J’admirais leurs trames délicates et fortes, leurs arabesques et leurs fleurs, leurs couleurs et leurs nuances. J’admirais les cordelières tressées habilement de plusieurs brins pareils ou différents, les ganses ou les crépines. Mon père les employait avec beaucoup d’adresse. Il excellait à les disposer et à les faire valoir. Il composait des tentures ou recouvrait des sièges ; mais j’éprouvais du dépit à le voir travailler, assis sur un mauvais escabeau de bois, de ses mains durcies et fatiguées, à ces beaux meubles où il m’eût semblé naturel de se