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Page:Régnier - Les Rencontres de monsieur Bréot, 1904.djvu/67

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de mon goût et ne m’a jamais rien dit. S’il est au pouvoir de Dieu de nous faire survivre à ce que nous avons été, il lui serait aussi facile que nous demeurions ce que nous sommes, au lieu de n’acquérir une seconde vie qu’aux dépens de la première. Enfin, pour être bref, je me suis borné à l’idée de ne vivre qu’une fois, et je m’y tiens. Ce sentiment, loin de m’attrister, m’a donné un grand désir d’être heureux et de bien employer le temps d’une existence qui doit être toute terrestre. J’aime le plaisir et j’en ai goûté quelques-uns. L’un de ceux que je préfère est de chanter sur le luth. Je sais en accompagner agréablement une voix qui n’est pas vilaine. Je trouve une volupté singulière à joindre mon corps à un corps de femme. C’est à ces occupations que j’ai passé les années de ma vie jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans où je suis aujourd’hui.

» Vous pouvez penser, monsieur, qu’il peut y avoir d’autre emploi préférable à celui que j’ai fait de ma jeunesse, mais j’ai pour excuse de n’avoir pas trouvé d’occasions à me comporter différemment. Pour dire vrai, je me sens, aussi bien que personne, capable de belles actions, mais rien ne m’a jamais mis à même d’en accomplir, car ma naissance ne m’y a pas porté d’elle-même, comme