Aller au contenu

Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
AU GRÉ DES FLOTS

mandé à Mai la permission de venir ? Pourquoi ? Elle ne voulait pas être jalouse ; mais cette incertitude cruelle ne cessait de lui marteler les tempes. Elle se prenait à repasser en esprit les incidents de cette journée pour se convaincre que ces visites de Pierre lui seraient destinées. Et toujours la même angoisse et le même doute l’étreignait. Pour qui viendrait le jeune homme ? Elle aurait voulu savoir ce que Mai en pensait. Le lui demander, c’était révéler ses préoccupations. Quant à Mai, toute à ses rêveries et à ses lectures, elle ne parlait plus de cette fête ni de Pierre. Que pense-t-elle, quand elle rêve près de la fenêtre ? se demandait Hortense. Son silence cache-t-il comme le mien un grand et cher secret ?

C’est parmi ces perplexités qu’elle attendait le retour de Pierre, tantôt soulevée par une vaste espérance, tantôt plus désespérée qu’une abandonnée.

Les jours passaient lentement. C’était maintenant le temps des récoltes. Chez les pêcheurs qui cultivent un petit coin de terre, ce sont les femmes et les enfants, en absence des hommes partis en mer, qui font les travaux des champs. La tâche de vaquer au dehors était dévolue à Hortense dont la forte constitution la désignait à ces labeurs. On ne pouvait pas compter sur Mai trop faible et toujours absorbée par ses livres et ses songes sans fin. Hortense, aidée de ses jeunes frères trayait les vaches, attelait les chevaux, et conduisait avec adresse, fauchait le grain, le râtelait, le chargeait dans la charrette, le déchargeait dans la tasserie. Elle était belle dans la lumière aveuglante de cette fin du mois d’août, les bras nus, la sueur au front, menant les chevaux dans les chemins creux, manœuvrant le râteau et la fourche, dans des gestes souples, robustes et gracieux. Toute sa personne saine et harmonieuse s’en allait dans la chanson du labeur quotidien vers la beauté, la force, l’énergie et l’affection. C’était un poème champêtre que cette femme qui s’agitait dans la splendeur de son amour. Quelle autre femme, plus qu’elle, eût pu orner le foyer d’un pêcheur ? Occupée par la besogne du jour elle n’avait guère le temps de penser. Mais quand elle était