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les dépaysés

menait cependant pour se tromper lui-même et finir la besogne commencée, lorsqu’un jeune homme brun et superbe dans la lumière dorée ouvrit la barrière pour entrer dans la cour. Le bruit du montant sur le sol fit regarder le vieillard.

« Tiens, c’est Paul », se dit-il. Et il se redressa pour le voir venir. Il était beau avec son visage mince encadré d’une barbe blanche en collier, regardant avec orgueil celui qui approchait. Il y voyait sa jeunesse, sa force et toutes ses années de labeur, les seules joies de sa vie. Paul était vêtu un peu comme son père, mais au lieu de longues bottes, il avait des souliers hauts d’où sortaient des bas de laine bleue foncée montant jusqu’aux genoux ; il portait une chemise également de lainage bleu, dont le col lacé par de menues liettes et ouvert laissait voir une gorge forte et brunie par l’air et le soleil. Des yeux fermes et doux regardaient droit devant eux résolument. Lorsqu’il fut à quelque pas du vieillard, il lui dit :

« Vous avez déjà fini, père ? »

« Oui », répond celui-ci. « Nous pourrons commencer les labours aujourd’hui même. »

« En effet, continue le jeune homme, je viens de voir la prairie du nord. La terre est à point, ni trop sèche, ni trop mouillée. Je vais voir si les chevaux ont ce qu’il leur faut pour commencer cet après-midi. »

Il se dirigea vers l’écurie et y entra. Dans les hautes stalles, deux bêtes magnifiques à l’encolure robuste, des touffes de poil aux pattes, la tête dans leur musette, mâchaient un reste d’avoine et piaffaient d’impatience de n’être pas dehors. Paul les