Aller au contenu

Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

journal de bord comme tout le monde. Cependant je n’ai pas éprouvé l’enthousiasme général. Une émotion m’a secouée d’abord au souvenir de ma première aventure… de guerre, qui remonte à l’époque où j’avais dix ans. Les Prussiens tirèrent sur le train nous emportant, ma mère et moi, de Joigny vers le pays natal. Cela claquait contre les vitres des wagons où il faisait chaud comme au milieu d’un orage, chaud comme en août 1914. La bonne, mon ancienne nourrice, demeurée chez nous par un inexplicable amour pour le nourrisson boitillant qu’elle admirait tant en mon humble personne, me saisit à pleins bras et me serra contre son ample poitrine, ayant encore l’idée naïve de m’offrir son sein. « C’est de la grêle ? » dit ma mère en s’éventant. « Non, madame, ça sort des fusils », murmura quelqu’un. « Lou gorets ! » souffla ma nourrice dont les troubles mentaux se traduisaient toujours dans son patois périgourdin. Et puis la rafale passa, le train aussi… et on pensa à autre chose.