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Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/69

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Ils sont toujours : « lou gorets ». Ils tirent toujours sur les enfants et les femmes. Je crois qu’il aurait fallu des inventions plus nouvelles que la guerre pour réduire ces animaux-là. « Ils nous en voudront du mal qu’ils nous auront fait ! » répétait souvent mon père, qui, d’ailleurs, ne s’expliquait pas plus avant : « Mais, ajoutait-il sans daigner sourire pour s’adresser à sa fille, lorsqu’on a un mur derrière soi, une épée à la main et qu’on connaît bien l’escrime, l’ennemi doit reculer, serait-il une douzaine. Un mur, ma chère enfant, un bon mur que tu sens derrière tes épaules ! Voilà tout le secret d’une bonne défense ! On a le temps de voir venir. » Ah ! la théorie de la muraille ! Ce que je l’ai apprise par cœur ! Et ce qu’elle m’a servi d’oreiller, le long des nuits de réflexions philosophiques. Le malheur, c’est qu’ils ne sont pas douze, les gorets.

Au 3 août 1914, en face de chez moi, sur l’autre rive de la Seine, j’ai vu errer un vieux, très vieux paysan, les bras pendants, le corps penché, la tête virant comme une