Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/100

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Elle employait tous les loisirs de sa captivité religieuse à de puériles discussions de préséances. Devait-elle avoir le pas sur l’abbesse au réfectoire ou à la chapelle ? Aurait-on des carreaux pour ses genoux royaux ou confondrait-elle sa tenue avec les prosternements de ses sœurs de moindre qualité ? Chrodielde, sa cousine, plus remuante encore, fomentait des rébellions contre l’abbesse Leubovère, disant que leurs cellules se trouvaient trop basses de voûte et que leurs coffres subissaient la visite humiliante des espionnes chercheuses de parchemins secrets ou de talismans magiques. La liberté ! Était-ce le droit de s’asseoir à table bien avant l’abbesse ? Était-ce la garniture qu’on lui refusait pour ses jupes de Noël ? La liberté ? Espérait-on lui rendre une couronne ou sa virginité par la puissance de ce vocable ? Elle ne tenait plus au monde pour la beauté de son printemps et le charme des rondes enfantines dans les verdures neuves. Elle n’était plus une enfant. L’ombre des cloîtres, depuis trop d’hivers, avait répandu sur elle un voile plus épais que celui des nonnes et si elle conservait l’usage de porter haut le front, sans coiffure enlaidissante malgré l’humiliation de ses cheveux coupés, elle tenait à ce mince bandeau lui barrant le front d’un signe d’or, comme tiendrait à l’emblème de son servage