Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/182

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sait bien cette impression de sol fuyant sous l’orteil. Il se mit à marcher en prenant des précautions d’animal rampant. Ragna baissa les yeux, cherchant des traces. Une humidité emperlait la mousse, le gazon, toutes les feuilles, et donnait à l’air une saveur d’eau fraîche. Il y avait par là une source où quelqu’un pleurait depuis tant de siècles !

Sur trois énormes rochers, la pierre s’allongeait d’une forme indécise, celle d’un corps humain, peut-être d’une femme. Elle portait à peine sur le côté qui regardait la route et avait l’aspect d’une énorme créature ligotée devant se lever un jour, se mettre debout en basculant sur son plus ferme point d’appui. D’une matière grise se colorant de bleu foncé aux endroits humides, elle semblait une étrangère tombée là, sans aucune parenté avec les roches voisines. Derrière elle, le cercle des arbres se rompant, on apercevait la route, un espace blanc se déroulant dans les lointains, le grand chemin, toujours foulé par les gens d’armes, les serfs et les troupeaux, qui menait de Poitiers à Tours.

Les chiens poussèrent à l’unisson un hurlement de mort.

— Ces bêtes ont soif ! murmura Ragna, qui disait chaque fois la même chose pour essayer de s’expliquer son émotion.