Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/199

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les sèches qui se coloraient de place en place comme des flaques de sang. Les corps minces des plus jeunes arbres mettaient à contre-jour sur le ciel empourpré de grandes barres noires pareilles à la grille monumentale d’un cachot.

Tous ces hommes n’étaient-ils pas les prisonniers de leur destin ?

Certes, ils n’avaient point choisi cet obscur sentier de la forêt volontairement. Des monstres aboyaient leurs crimes à leurs trousses et les précipitaient tout pantelants de frayeur dans ces sauvageries, les obligeaient à suivre ces deux hommes mystérieux, aussi pauvres que les plus pauvres, mais de gestes volontaires. Le soir tombait, le crépuscule qui verse l’effroi dans les âmes bourrelées les enveloppait sinistrement, étouffait les innocents espoirs, faisait songer aux bêtes rampantes et aux faciles assassinats. Là-bas, entre ces hautes colonnes, ces barres de fer des jeunes sapins arrêtant la lumière, on apercevait une mer de verdure descendant et remontant, toute l’ondulation énorme des arbres qui semblait couvrir le monde à l’infini.

En dehors des sociétés, des villes et des basiliques, ils étaient parqués, maintenant, troupeaux prêts à toutes les errances, à toutes les erreurs, se sentant plus parias dans ces solitudes où les ani-