Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/213

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Méréra se hâta de le débarrasser. Ils se taisaient, levant par instant des prunelles étincelantes de reconnaissance vers Harog qui, debout sur la croupe de la Pierre, jouait le rôle hardi du Dieu bienfaiteur de leur triste humanité. On grognait, pleurait, s’étranglait. Ragna passait avec l’outre et tous offraient leur gobelet avec des gestes d’engloutissement. Quelques-uns, les plus jeunes, mettaient simplement leurs deux mains unies sous le goulot.

Là-haut, plus haut que les chefs de l’armée mystérieuse, la lune, comme pleine aussi d’un vin de folie, montrait sa face rose d’astre s’enivrant à contempler tous les crimes du monde. L’air se faisait plus doux, de frais devenant chaud, lourd d’odeurs de fleurs et de gâteaux de miel. Le grand Aveugle-né disait des choses qui attendrissaient les mendiants. Brodulphe-l’Adultère expliquait qu’il avait dû dévorer ses excréments un jour parce qu’on l’avait oublié dans sa basse-fosse. Boson-le-Boucher préférait le cheval malade au porc ladre, car un cheval, n’est-ce pas, ne vit que de foin sans récolter d’humeurs nuisibles, et tous mangeaient à leur faim, buvaient à leur soif pour la première fois de leur existence.

Ragna riait.

Harog sifflait. C’était la victoire du serpent !