Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/42

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pince à tenir les fortes bêtes qu’on voulait écorcher. Les bœufs blancs ruminaient le front bas, tordant un peu de mousse du bout de leur langue baveuse. La fille s’y cachait dans le seul vêtement de ses cheveux roux, une chevelure embrouillée, souillée, allongée de fétus et de feuilles pourries qu’elle devait avoir laissé traîner sur tous les fumiers des écuries extérieures. Elle paraissait morte, tellement son corps se tendait immobile sous le mince manteau. On ne lui voyait ni face ni main ; rien que deux pieds dépassant cette queue de vache furieuse, étalée comme un défi. Ragnacaire déploya sa paille et le suaire de lin bourru le mieux qu’il sut le faire, tellement gauche devant cette misère de princesse qu’il oublia de grogner og ! et us ! selon sa coutume. Cela ne serait pas un joyeux voyage. Il regrettait les chiens qu’il laissait chez le roi et le pucelage de cette fille, tout ensemble, essayant de s’expliquer l’aventure d’une femme assez folle pour s’abandonner aux étreintes de toute une ruée de soldats ! Ah ! si les chiens, leurs braves chiens avaient eu vent de la chose… on aurait pu la défendre, mais contre qui ou contre quoi ? Une fille de chef veut bien ce qu’elle veut et il fallait se contenter de la mener au couvent le plus vite possible. Elle ne remua pas quand on aiguillonna les bœufs