Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/97

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Ici, nous commandons, Chrodielde et moi. Chrodielde, ma cousine, est vraiment fille du feu roi Charibert et d’Ingoberbe, je t’enjoins de m’en croire. Nous avons le pas au réfectoire sur l’abbesse et ses nonnes, mais à l’église on nous a retiré nos carreaux. Nous souffrons mille tourments, car on n’a pas les égards dus à nos familles. Et cependant l’abbesse, si avare pour nous, a osé faire des vêtements de fiançailles à sa nièce avec un dessus d’autel en soie, elle en a même enlevé les feuilles d’or pour les suspendre à son cou ! Croirais-tu que Basine, princesse de Neustrie, n’a que deux tuniques et qu’on m’a refusé un galon pour garnir ma robe de Noël ? Nous manquons de blé, nous mangeons plus souvent des châtaignes sèches que des oies rôties ! Pour le vin il est si mélangé d’eau que notre prêtre refuse de célébrer la messe avant d’y avoir goûté… (Elle s’interrompit en s’essuyant les yeux d’une de ses manches.) Ah ! si nous possédions des chevaux et des gens d’armes…

Harog, le front levé, tenant sa main captive, la contemplait, en adoration. Ce qu’elle disait, il ne l’écoutait pas. Il n’écoutait pas plus les monotones oraisons de la recluse grignotant de l’ombre derrière eux. Il n’entendait rien, rien qu’un souffle d’amour puissant, la respiration embaumée du prin-