Aller au contenu

Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pantalon de velours bleu sombre en protestation contre le noir, couleur dont il ne s’est jamais servi malgré son grand âge, ample veston sur chemise de soie molle, cravate flottante, véritable drapeau de la tradition. En dépit de ses soixante-dix ans sonnés et de sa rosette, qui, elle, n’est pas artificielle, il affecte l’allure débraillée des anciens rapins de Montmartre, mais il va tout de même en habit chez les femmes du monde. Il est encore admirablement d’aplomb sous sa crinière grise, qui l’auréole à la Dieu le Père, et sa barbe rousse, inexplicablement rousse, qui l’apparente au Juif errant. Ses traits réguliers sont un peu gonflés par l’abus probable des alcools, et ses prunelles, en grains de muscat, commencent à se noyer, se fondre comme des raisins à l’eau-de-vie. C’est un bon Maître, indulgent, pas très intelligent, une de ces brutes de génie qu’on présente en exemple aux générations futures, lorsqu’elles ont envie de regimber contre les influences du milieu. Carlos Véra a commencé par peindre gras des héroïnes de bal de barrière. Il était, du temps de Zola, un des plus fervents apôtres, non de la nature, mais de la banlieue parisienne ; un beau matin, une passion pour une très riche Américaine, dont il fit un portrait retentissant, l’entraîna à la suite de son modèle dans le pays de l’or vierge. Il en