Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/19

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compter ses pas, et s’avance dans la direction qu’il juge la meilleure ; mais il ne doit relever son bâton que pour frapper un seul coup : s’il rencontre le vide, huées et quolibets ne lui feront pas faute : si, au contraire, il réussit à briser le vase condamné, les applaudissements salueront l’habileté de ses combinaisons. Bien des joueurs, se fiant à leur perspicacité ou à leur savoir-faire, s’engagent à toucher le but avant un nombre déterminé de carrières ; la galerie base aussitôt des paris sur cette prétention, et, le cabaret voisin engloutissant presque toujours les enjeux, il n’est pas rare que, mis en belle humeur et se sentant la main faite, les joueurs ne continuent sur les verres et les bouteilles le carnage commencé sur une vaisselle de rebut.

Les gamins des villes, qui surtout ont la bosse de la destruction, ne sauraient manquer de trouver un attrait supérieur à ce divertissement ; aussi les rues sont-elles, au coucher du soleil, jonchées de débris de faïence de toutes les couleurs : on dirait les matériaux d’une mosaïque ravagée.

Il nous paraît convenable de ne pas nous borner à constater l’existence encore pleine de séve d’un vieil usage ; aussi avons-nous voulu en rechercher le motif et l’origine, et dans ce but nous avons eu recours aux lumières d’un bel esprit de village, zélé entre tous les joueurs. — « Dam ! a-t-il fait, il y a comme ça bien des choses que la religion ordonne sans en dire le pourquoi : ce qu’il y a de bien sûr, c’est que quasimodo veut dire : casse les pots, et, foi de Dieu ! je les casse ! » — Comme cette réponse, malgré son charme pittoresque, pourrait sembler au lec-