Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/45

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au flanc, s’adosse contre la chaussée, qu’il domine à peine de son toit de chaume tout verdoyant de pariétaires.

Voilà le paysage tel que tu as pu le voir il y a dix ans ; voici maintenant sous quelle influence il t’apparaîtrait aujourd’hui.

La campagne resplendit, inondée de lumière blonde ; c’est à peine si une légère vapeur estompe les anfractuosités des lointains ; la chaleur fécondante du soleil fait de toutes parts éclater les bourgeons ; le vert-tendre des feuilles naissantes crible de ses grêles mouchetures les halliers et les taillis ; des fleurettes sans nombre émaillent le versant des fossés. La brise, trop faible pour émouvoir les ramées, soulève pourtant des émanations douces quelquefois comme celles de la violette, quelquefois amères et pénétrantes comme celles du buis ; des bruyères humides et des terres labourées. La joie est dans l’air, la vie partout. Des cris aigus et stridents sortent des gazons ; les broussailles sont remplies de gazouillements et de frissons d’ailes ; des grappes de friquets tombent de la cime des arbres, se pourchassent, roulent, haletants, étourdis, jusqu’à mes pieds ; et dans le fourré voisin, un merle, — effronté conteur de gaudrioles, j’en jurerais, — scandalise ou fait pâmer d’aise, je ne sais lequel, toute une turbulente société d’oisillons. Le ruisseau....., le ruisseau lui-même, qui de là-bas accourt leste et clair, oubliant des houppes d’écume à l’angle de ses berges, précipite sa joyeuse allure en passant à mes côtés, et disparaît sous une voûte en chantant sa fanfare.