Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/47

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reusement passionné, il entr’ouvre avec effort la double frange des cils ; ou, limpide et assuré comme le rayon du saphir oriental, sa consolante mansuétude fait éclore au cœur des tendresses infinies. Combien de temps a duré ma poursuite ? Je l’ignore ; mais elle m’a conduit au radieux pays visité par Muller, — l’une de ses toiles en fait foi, — où des courants de fluides souverains, d’arômes fortifiants et réparateurs, éternisent la jeunesse de l’année et le printemps de la vie. Des groupes rayonnants de joie et de beauté émaillent le velours de la mousse ; une brise, amoureuse des fleurs, secoue de ses ailes embaumées les suaves accords des concerts lointains, et je crois deviner, dans le chant érotique d’une théorie, le doux conseil du Pervigilium Venevis : Cràs amet[1] ! Il m’est alors révélé, juge de mon ivresse, que la vertu régénératrice d’un certain fluide va me faire de la même essence que les élus de cet Éden. La ferveur de ma croyance au printemps, croyance qui de jour en jour va s’éteignant chez les mortels, est, si cela t’inquiète, mon titre le moins fantastique à cette faveur insigne.

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L’instant est venu ; le fluide magique m’apparaît sous la forme d’un rayon aux lueurs d’émeraudes, qui prend sa source aux lèvres de ma mystérieuse conductrice. Palpitant, éperdu, le cœur plein d’inexprimables adorations, je m’élance.....

Soudain un cliquetis d’armes, un juron énergique, un

  1. Aime demain qui n’a jamais aimé
    Qui fut amant demain le soit encore !