Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/48

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nuage de poussière éclatent à la fois et me font bondir. — C’est l’inexorable réalité, qui, décorée du baudrier jaune de la gendarmerie départementale, m’arrache avec sa brusquerie accoutumée aux enchantements de mon paradis. — En d’autres termes, un gendarme très-grand et très-lourd vient d’escalader la clôture qui fait à mon siége un dossier naturel ; mais la terre s’étant éboulée sous son poids, ils ont pêle-mêle roulé ; de telle sorte que, sans la vigilante sollicitude de mon ange gardien, l’avalanche m’aplatissait. — Ce que je te raconte est d’une exactitude irréprochable. Je ne pourrais appliquer la même épithète à la tenue du susdit fonctionnaire, de violentes frictions ayant çà et là maculé son pantalon bleu.

Nous commençons à nous remettre, lui de sa chute, moi de ma surprise ; il s’éponge le front, je me frotte les yeux ; il jure encore sans s’excuser, et cette fois la chose me semble exorbitante ; l’on dirait en vérité qu’il regrette de ne m’avoir pas écrasé tout à fait. — Pour commencer la conversation, et pour unique reproche, j’ai bien envie de m’écrier, comme le Bertram de Mathurin : « Un ange planait sur mon cœur, et tu l’as effrayé ! » Mais ce gendarme, complétement intempestif, me prévient d’une façon infiniment moins poétique : — Sacrebleu ! m’sieu, je suis en nage ; voilà deux heures que j’emboîte le pas sur ses talons, et, juste au moment où je vais mettre la main dessus, prrrout ! — C’est à peu près mon histoire. — Et pourtant sa manille doit singulièrement lui alourdir la jambe. — Peuh ! — Quoi ! vous l’avez vu ? — Si je l’ai vue ! des yeux noirs grands comme ça ! — Allons donc ! — Bleus comme les violettes, alors. Le gendarme me regarde stupéfait. — Ah