Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/50

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mais la singularité du rythme me rend bientôt plus attentif, et je parviens à fixer au vol les paroles suivantes :


… Ils s’en vont à l’église,
Le chapeau sous le bras.
Si madame est bien mise,
Monsieur s’informera.
Ah ! dam ! ces messieurs pensent
Qu’on ne les connaît pas !


Curieux d’entendre de plus près la chanson, plus curieux peut-être encore de voir la chanteuse, je me suis approché de la haie qui m’en sépare, et je puis, à travers la farouche crinière de ronces que l’on oppose d’ordinaire aux tentatives d’escalade, contempler un frais et gracieux tableau. — Sur le tapis vert et douillet d’une prairie zébrée d’ombre, criblée de primevères, étincelante de marguerites au disque d’or, trois femmes sont assises et surveillent un turbulent troupeau d’enfants. Ils sont au moins une douzaine, chérubins roses et joufflus, mignonnes et pimpantes petites filles ; ils courent dans l’herbe avec mille cris aigus, ils moissonnent les primevères, et viennent verser à flots la cueillette dans le giron de leurs bonnes. Celles-ci s’occupent de rassembler les fleurs une à une pour en composer ces énormes boules d’un jaune pâle, que ton cœur a déjà nommées, j’en suis sûr, en tressaillant de joie et de jeunesse, des bouquets de lait ; car, bien souvent aussi, tu as cueilli des bouquets de lait. T’en souvient-il ? c’était le jeudi, toujours, jamais le dimanche ; le dimanche on nous attifait ridiculement ; puis gourmés, engourdis et gauches, on