Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/51

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nous produisait sur les promenades de la ville. Ce dimanche que nous donnait le bon Dieu, l’amour-propre maternel le dérobait sans remords à notre vie, comme si les jours de bonheur ne nous étaient pas comptés parcimonieusement. — Ah ! si l’on cherchait bien, on trouverait peut-être dans ces dimanches mal employés le germe de plus d’un de nos défauts actuels ! — C’était donc le jeudi ; l’école était fermée, et nous remettions au lendemain les leçons, — nos affaires sérieuses d’alors ; — partant, la journée s’ouvrait sans nuages. Qu’ai-je besoin d’ailleurs de parler au figuré ; les jeudis de ton enfance ne passent-ils pas tous dans tes souvenirs avec un ciel d’azur, une campagne verte comme l’espérance, pailletée de marguerites, et sillonnée de ruisseaux, dont la voix d’harmonica s’épuise en roulades de cristal ? Ces jeudis-là étaient du moins ceux qu’on choisissait pour nous mener cueillir des bouquets de lait. Quelles courses alors au bord des chemins et à la lisière des taillis ! Quel plaisir de tremper notre pied dans tous les courants et de boire à toutes les sources ! Puis, quand l’un de nous découvrait un recoin mystérieux plus richement fleuri, — un placer, comme on dirait maintenant, — quels cris de surprise et d’admiration, quels appels à la bande disséminée, quels doux noms volaient dans l’air, et quelles douces voix répondaient à ces doux noms ! — Hélas ! plus d’une parmi les plus douces et les plus aimées seraient aujourd’hui muettes à notre appel, car la mort a fait aussi sa moisson de primevères, mais avec un discernement cruel et qui justifie outre mesure l’inquiétude d’un poëte espagnol pour « celles qui naissent belles ». Enfin, le soir venu, quand, brisés de fatigue, débraillés, et les genoux verdis,