Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/54

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aile, menacer de sa faux ? — Eh bien ! je trouve une certaine ressemblance entre la mélodie allemande et le vieil air ; c’est le même sentiment de mélancolie passionnée, de douloureuse inquiétude, qui dans l’une et dans l’autre, vous font vibrer les fibres les plus tendres du cœur et vous émeuvent jusqu’aux larmes. — De ma place je ne puis apercevoir les traits de la virtuose, mais seulement ses mains, qui, occupées à fixer un bouquet à l’extrémité d’une baguette, sont blanches, plutôt un peu épaisses que fortes, et paraissent assez molles, assez veloutées, pour qu’on ne puisse les soupçonner de se livrer à de rudes travaux. C’est, à n’en pas douter, une couturière. Elle porte une robe brune fort simple, un petit châle gris tout uni, et son bonnet de tulle noir, piqué à la tempe d’une rosette rouge, laisse à découvert des bandeaux de cheveux bruns, un peu arides comme ceux d’une convalescente. Pendant que je suis en train de me forger, en l’écoutant, l’idée la plus avantageuse de son visage, je remarque chez sa grosse voisine des signes d’impatience ; mais juge de ma stupeur et de mon indignation, quand je l’entends s’écrier tout à coup : — « Jésus ! Marianne, est-ce que t’as pas bentôt fini avec tes cantiques de Noël ? Chante que’que chose de plus farce ; t’es embêtante à la fin. » — C’était, tu en conviendras, le cas ou jamais pour la Providence, de se manifester, mais il paraît qu’elle n’a pas toujours sous la main un aérolithe ou un gendarme pour écraser… — « Je ne sais que des chansons tristes », a répondu Marianne, interrompant ma pensée homicide. — « Ah ben ! réplique l’autre, j’aime ma foi mieux les miennes. » Et la voilà qui, derechef, jette au vent ces paroles :