Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/57

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défaut, un peu de cet abandon morbide qui a aussi son charme. De tout cela elle n’a rien : en revanche, ses formes doivent, à leur manque de finesse, une apparence de vigueur fort rassurante, et il y a dans tout son port je ne sais quelle vulgaire expression, qui achève de bannir de mon cœur le sentiment de tendre et inquiète sollicitude qu’avait fait naître son premier aspect. On dirait, en vérité, qu’elle s’ingénie à contrarier les vues de la nature sur sa personne. — Le petit groupe me précède de quelques pas ; mon voisinage semble l’intimider ; on y chuchote. Mais j’en suis bientôt séparé par une haie ; les voix s’enhardissent alors, deviennent distinctes, et je puis entendre le dialogue suivant, que je ne voudrais pas altérer d’une syllabe :

— Mam’selle Sophie ! je vous ai déjà dit de ne pas aller au bord de l’eau ; revenez vite, ou il va vous arriver malheur comme à Louise ***.

Cette interpellation et cet avis sont adressés, par la joyeuse commère, à une charmante espiègle, blonde comme les gerbes de juillet, fraîche comme une rose du Bengale, svelte et cambrée comme une Andalouse, qui de son pied mignon effleure l’ourlet de verdure de l’étang.

— Qu’est-il donc arrivé à Louise, ma bonne ? demande un petit garçon à l’œil déjà rêveur.

— Tiens ! elle s’est nayée, quoi ! nayée, v’là tout ; à preuve Marianne l’a vue.

— Oh ! Marianne ! fait l’enfant, déjà suspendu au bras