Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/59

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l’esprit sans doute encore sous l’empire du navrant souvenir évoqué tout à l’heure, chante de sa voix fiévreuse un air larmoyant ! puis elle disparaît à son tour, et sa chanson s’éteint sur ce motif douloureux et désole comme un glas d’agonie :


Sonnez, sonnez, clochettes !
Sonnez bien tristement.
Ma bien-aimée est morte
À l’âge de quinze ans !


VI

Je suis seul depuis un instant à peine, et déjà la solitude m’est odieuse. Pourtant j’ai voulu relire mes notes avant de poursuivre ma route, et bien m’a pris de cette précaution, qui va me permettre de modifier un peu le riant tableau placé en tête de ces pages. — Je m’étonne, en effet, d’avoir pu trouver en aussi joyeuse humeur cette campagne sur laquelle semble, au contraire, peser une atmosphère de tristesse et de mélancolie. — Les collines, l’étang, le moulin, les arbres, tiennent à merveille, comme par le passé, leur emploi d’accessoires de paysage classique ; mais tout cela est gris, maussade et maigre, comme une mine de plomb exécutée par une pensionnaire zélée du Sacré-Cœur, avec un crayon taillé consciencieusement. Des nuages ont chargé le ciel ; le soleil n’y montre plus qu’un disque blafard et sans chaleur. Une bise, qui, tra-