Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/60

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vestie en zéphyr, sans doute à la mi-carême, aura trompé la vigilance de son gardien, m’attache un frisson entre les épaules. Les ajoncs aux fleurs d’or ont disparu sous une couche de linge sortant de la lessive ; on dirait qu’il a neigé sur la colline. Plus de frissons d’ailes parmi les broussailles rechignées et sinistres ; plus de chansons dans ce taillis suspect, où se montrent de temps à autre des chapeaux galonnés en quête d’un bonnet rouge. Sur la surface de l’étang, grise, ridée, sans reflets, la bande effarée des canards tire en toute hâte vers le bord, en poussant des clameurs d’épouvante, comme si ses explorations avaient amené la découverte, parmi les roseaux, d’un pauvre petit corps meurtri au front, déchiré aux mains. Que te dirai-je, enfin ? ces primevères qui m’entourent ont la pâleur de la mort, ces violettes le ton livide des cicatrices, et le courant lui-même à l’expression duquel je m’étais mépris tout à l’heure, — un sanglot diffère si peu d’un éclat de rire ! — semble fuir en désespéré ce paysage funeste. — Je m’en éloigne aussi, mais la tristesse n’est pas seulement aux lieux que j’abandonne, elle est sur ma route, elle est surtout dans mon cœur, et il suffit de l’objet le plus insignifiant en apparence pour l’y raviver ; — de ces primevères qui égrenées par les enfants sur leur passage, gisent déjà flétries et à moitié enterrées dans la poussière ; de ce hêtre dont l’écorce noircit sous le coup machinal de mon bâton et laisse échapper sa séve comme des larmes ; de ce feuillet qui, tombé d’un bréviaire sans doute, me met sous les yeux la triste parole de Jonathas : « Gustavi paululum mellis, et ecce morior !… »

J’en étais là, quand les gouttes avant-courrières d’une