Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/87

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les retenir et les répéter sans me tromper d’un mot. Je causai tant de plaisir au cardinal, qu’il me pria de venir près de lui et me baisa les lèvres en tremblant d’émotion. Puis, s’adressant à mon ami :

— Et toi, tu ne dis rien, Guido, tes yeux sont tristes et ta bouche me fait la moue. N’importe ! ton visage me charme toujours ; tu es le plus beau des enfants.

Il lui donna aussi un baiser et l’étreignit longuement.

Jusqu’alors, les témoignages de tendresse que l’on accordait à Guido me comblaient de joie. J’aimais tous ceux qui paraissaient l’aimer. Or, cette fois-là, quand je vis le cardinal joindre ses lèvres aux siennes, je sentis le frisson de la fièvre et comme une barre glacée me descendre le long du dos. Avant qu’on ne nous eût congédiés, je saisis vivement la main de Guido et l’entraînai au dehors, puis, quand nous fûmes seuls :

— Guido, m’écriai-je, presque avec fureur, je ne veux pas qu’il t’embrasse ni même que tu ailles chez lui, je ne le veux pas, entends-tu !

Il me regardait avec des yeux immobiles de surprise.

— Mais qu’est-ce qui te prend, Jésus ! deviens-tu folle ?

— Je deviens ce qui me plaît. S’il fait mine de t’embrasser, tu lui diras qu’il t’agace.

Et, comme Guido ne me répondait pas, je lui détachai un vigoureux soufflet.

— M’obéiras-tu à la fin ?

Guido s’enfuit en se frottant la joue, mais sans prononcer une parole.

Nous ne nous revîmes que le soir au souper.

Mes yeux portaient encore la trace des larmes que j’avais versées tout le jour ; j’étais si émue qu’en servant, je renversai un plat de poisson à la lombarde sur la tonsure de frère Gennaro qui, tout fumant et dégout-