Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/93

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veillé par les cris de Guido, lui demandait ce qu’il avait.

— C’est elle… qui est venue me tenter, m’exciter au mal… c’est elle.

— Qui donc ?

— Nichio.

— Tu es fou, conclut Arrivabene, tu ferais mieux de dormir.

Le frère n’y manqua pas, mais Guido ni moi n’eûmes un instant de repos. Jusqu’à l’aube, il poussa des soupirs, et, d’une voix toute tremblante, récita des prières. De temps à autre je l’entendais s’écrier : Mon Dieu ! Mon Dieu ! Et ces appels étaient si désespérés qu’ils me donnaient de grands coups au cœur.

Pourtant je commençais à le détester jusqu’à vouloir qu’il souffrît, jusqu’à vouloir qu’il mourût. Je détestais aussi tous ceux qui me prenaient son amour ou qui l’aimaient : le cardinal, les jeunes gens qu’il fréquentait et frère Gennaro, le vilain moine. Surtout, je détestais Dieu.

Fasol, me voyant un jour une petite croix dont m’avait fait présent l’abbé Coccone, m’avait dit :

— Vois-tu, Nichio, il ne faut pas te mettre au coi la croix : cela porte malheur. Le dieu qu’on a cloué là-dessus est un vilain dieu : il défend aux hommes d’aimer ; il a la haine de la chair divine qui nous enchante. Tenez, Nichio et Guido, vous êtes, sans vous vanter, d’admirables garçons. Eh bien ! ce dieu-là est jaloux de la beauté ; si vous alliez à lui, il vous ferait couper les cheveux et maigrir le corps. Tu n’aurais plus, Guido, cette jolie ligne de la jambe, ni ces délicates cambrures du mollet ; ni toi, Nichio, ces fesses arrondies comme celles des femmes ; à tous les deux, les longues prières vous auraient voûté les épaules et enlevé ce port de tête hardi qui vous sied si