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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/778

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l’énergie nécessaire le côté héroïque de l’incarnation de Mozart ! Mme Penco, dans le rôle de donna Anna, qu’elle joue avec énergie, a quelques élans généreux, mais rien de mieux, car cette musique, à la fois noble et touchante, exige une tenue de style que la cantatrice de l’école de Verdi n’a jamais connue. Mlle Guerra est supportable dans donna Elvira, et Mlle Battu prête au personnage de Zerlina tout le talent qu’elle possède, moins le charme qu’elle n’a pas. Quant à M. Mario, il est bien triste à entendre dans la cavatine — Il mio tesoro. — Eh bien ! malgré ces altérations profondes qu’on fait subir à ce miraculeux chef-d’œuvre, il vit et projette dans la salle quelques rayons de sa jeunesse éternelle.

Au Théâtre-Lyrique, les opérettes d’un jour se succèdent presque aussi rapidement qu’à l’Opéra-Comique : la dernière venue s’appelle la Tête enchantée, musique de M. Léon Paillard, et j’y ai remarqué un agréable quatuor avec un joli dessin de basson dans l’accompagnement. M. Réty, directeur de ce théâtre, si nécessaire à la culture de la musique dramatique en France, a été mieux inspiré en reprenant, le 21 janvier, Joseph, de Méhul, qu’on n’avait pas représenté à Paris depuis une douzaine d’années. Cette belle œuvre, qui remonte à l’année 1807, est contemporaine de la Vestale, de Spontini, à qui Méhul disputa le prix décennal fondé par Napoléon. Joseph, la Vestale et Médée, de Cherubini, représentent noblement la musique dramatique du premier empire. Joseph, dont les paroles sont d’Alexandre Duval, est plutôt un oratorio qu’un drame proprement dit, car l’amour en est absent. C’est une pastorale biblique, et partant un peu monotone, où le musicien s’est élevé à la hauteur de son sujet ; ce qui prouve une fois de plus, contre le dire de la plupart des compositeurs, qu’un grand artiste peut créer un chef-d’œuvre avec un mauvais libretto. Représenté pour la première fois au théâtre Favart le 17 février 1807, Joseph, qui est certes une des meilleures partitions de Méhul, n’eut point d’abord tout le succès qu’il méritait. L’Allemagne fut plus juste pour le chef-d’œuvre du compositeur français, parce que le ton religieux et touchant de cette musique convenait mieux à l’esprit naïf et sérieux des compatriotes d’Haydn et de Mozart. La France cependant ne tarda point à sentir tout le prix de cette œuvre remarquable, où l’on retrouve les tendances élevées de son goût et de son génie national. Qui ne connaît l’air admirable que chante Joseph au commencement du premier acte : Champs paternels, — la romance qui suit : A peine au sortir de l’enfance, — la scène entre Siméon et ses frères, — le cantique sans accompagnement : Dieu d’Israël, — la charmante romance de Benjamin : Ah ! lorsque la mort trop cruelle, — d’un caractère naïf et pastoral, le trio entre Jacob, Joseph et Benjamin ? Ce sont là de nobles accens, des beautés vraies et touchantes qui rappellent à la fois la manière de Gluck et celle de Sacchini dans son Œdipe à Colonne. Musicien de pratique plus que de doctrine, inférieur à Cherubini par l’élégance et la variété des formes, Méhul, qui avait un sentiment si profond des situations dramatiques, a moins vieilli et est resté plus populaire et plus vivant que l’auteur des Deux Journées et de Médée, dont il a pourtant essayé d’imiter le savoir. En effet, toute la partition de Joseph accuse une préoccupation qui s’était emparée de Méhul, de vouloir faire de la science autrement qu’en obéissant à