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LE MAJOR FRANS.

— Soit. Je ne compte prendre là-dessus que l’avis de votre grand-père.

Celui-ci arrivait suivi du capitaine. Je sus que, voulant me garder plus longtemps, le capitaine avait pris sur lui de faire venir ma malle, et en même temps il avait profité de l’occasion pour commander en ville toute une provision de friandises, de conserves, de confitures fines, de pâtisseries de luxe, qu’il étala avec complaisance aux yeux ravis du vieux général. Quant à lui, il faisait claquer sa langue de satisfaction en passant en revue toutes ces délicatesses, et frappant familièrement sur l’épaule du vieux baron :

— Eh bien ! général, n’ai-je pas bien fourragé ? lui dit-il en riant d’un gros rire.

Tout à coup Frances éclata. Ses yeux lançaient des flammes, elle ne se contenait plus. — Danmed rascal ! s’écria-t-elle, vous montrez bien que vous ne vous sentez plus un inférieur dans cette maison ; autrement vous n’agiriez pas ainsi. Bless me ! quel gaspillage ! Perdrix rouges, foies gras, poissons en gelée, confitures, c’est une boutique de comestibles que vous avez fait apporter. Et pourquoi, je vous prie, toutes ces provisions ? — Et elle frappa du poing sur la table de manière que tous les pots et flacons tressautèrent.

— Frances ! Frances ! murmurait le grand-père d’une voix dolente.

— Non, grand-père, continua-t-elle d’une voix plus forte encore, c’est un scandale, et, si vous aviez la moindre fermeté, vous y mettriez un terme.

— Mais, major ! major ! disait Rolf d’une voix suppliante.

— Taisez-vous, malheureux goinfre, je ne suis pas votre major, et j’ai par-dessus la tête de vos sottes plaisanteries ; mais je ne supporterai pas plus longtemps de pareilles libertés, et, si mon grand-père ne sait pas y mettre ordre, c’est moi qui vous mettrai à la porte, vous et tous vos ragoûts !

— Au nom du ciel, Frances, interrompit le baron, calmez-vous ; songez donc que M. de Zonshoven est ici qui vous entend.

— Tant mieux. Monsieur veut être notre hôte, eh bien ! il saura dans quelle vilaine maison il est venu loger. Je dis rondement ce que je pense. C’est des choses et non des paroles qu’il faut se scandaliser.

À ces mots, elle quitta la salle en me lançant comme un regard de défi, auquel je répondis par un mouvement de tête qui lui montrait combien je désapprouvais sa violence et l’intempérance de son langage.

Nous nous regardions tout ébahis, le général, le capitaine et moi, quand elle rouvrit la porte. — Capitaine, dit-elle à Rolf, veillez aujourd’hui au ménage, je vais me promener à cheval.