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REVUE DES DEUX MONDES.

— À vos ordres, commandant, répondit Rolf portant la main à son bonnet.

Je ne pus m’empêcher de lui exprimer mon étonnement du flegme avec lequel il essuyait de pareilles rebuffades. — Que vous dirai-je ? me répondit-il, j’y suis habitué. Je voyais bien ce matin que le baromètre marquait tempête. Plus vite la tempête arrive, plus tôt elle est passée, et un vieux soldat n’a pas peur d’une averse.

— Je vous avais bien dit que ma petite-fille était violente, murmura le général, qui n’osait plus lever les yeux de mon côté ; une fois lancée dans une de ses idées fixes, elle ne raisonne plus.

Pendant qu’il parlait, le capitaine Rolf tirait de son enveloppe un long objet qui se trouva être une jolie cravache destinée à remplacer celle qui s’était perdue dans la bruyère. Irait-elle, après une telle scène, accepter un semblable cadeau ? J’avais absolument besoin d’être seul et de réfléchir, je prétextai des lettres à écrire pour regagner ma chambre. En fait, c’est à ces heures de solitude anxieuse que vous devez cette lettre, Willem ; elle m’a déjà rendu le service de poser plus nettement à mes yeux les termes du problème ; mais la solution ? Je la vois reculer. Je fais un voyage d’exploration dans un cœur de femme, je m’y perds, et je souffre ; oui, je souffre, mon ami, car malgré tout je l’aime comme un fou, et je perdrais tout, si

je lui laissais soupçonner ma faiblesse.


V.


Je vous entends d’ici, Willem. Vous me demandez si je puis nourrir la moindre espérance de dompter la virago que je vous ai dépeinte dans ma dernière lettre. En effet, il y a chez Frances une virago à l’extérieur, et elle aime à passer pour telle. C’est un mauvais genre, mais un genre, et pourtant je la connais assez déjà pour être certain que, sous cette enveloppe rugueuse, il y a un cœur noble, généreux, sensible, qu’elle cache le plus possible. J’ai entrepris sa guérison. J’étudie ma patiente avec le calme et le sangfroid d’un médecin, du moins je fais de mon mieux ; que ne donnerais-je pas pour réussir !

Après la scène de violence que je vous ai retracée dans ma dernière lettre, je m’étais mis à mon aise dans ma chambre, j’étais en manches de chemise, et j’achevais de vous écrire, quand j’entendis frapper à ma porte. C’était Frances en personne, qui entra en costume d’amazone (sans vareuse heureusement), un encrier à la main, et qui, sans se soucier de mon négligé, se jeta sur la première chaise venue comme quelqu’un qui ne songe pas à se retirer tout de suite. Je me hâtai de rendosser ma redingote et lui demandai ce qu’elle désirait.