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— Pas maintenant, je suis déjà demeurée trop longtemps ici, et… et… vous restez au château pourtant ?

— Aussi longtemps que vous me retiendrez, Frances.

— Restez alors aussi longtemps que vous pourrez, si toutefois ce que vous voyez chez nous ne vous répugne pas trop

— À propos !.. et la badine dont vous aviez besoin ?

— Oh ! je m’en ferai une dans le bois, le capitaine voulait m’offrir une cravache, et…

— Et vous l’accepteriez plutôt de moi, dis-je en riant.

— Non ; mais je vous serais bien obligée, si vous me prêtiez une dizaine de florins, que je vous rendrai après-demain.

Je lui remis mon porte-monnaie, où elle prit ce qu’elle voulut. L’étrange créature ! et l’étrange conclusion de notre bataille !

J’avais moi-même besoin de prendre l’air, et je voulus porter une lettre à Overberg jusqu’au bureau de poste du village. En bas, je trouvai le général, qui se disposait aussi à sortir et qui, apprenant le but de ma promenade, s’offrit pour m’accompagner. Lui aussi avait une lettre à jeter dans la boîte, une lettre qu’il me semblait avoir cachée aux regards de Frances. Il espérait de plus trouver au bureau un paquet à son adresse. Ce paquet existait en effet parmi les envois poste-restante ; mais, quand il l’eut ouvert avec précipitation, ses traits se rembrunirent et prirent une expression de désappointement. — Ne dites rien à Frances du paquet que j’ai été chercher, m’insinua-t-il au retour, je dois diriger mes affaires à son insu, elle n’y comprendrait rien, elle ne serait pas toujours d’accord avec moi, et avec son caractère,… à mon âge,… j’ai grand besoin de repos… Enfin vous comprenez. Voyez-vous, le capitaine me doit sa position, il est naturel qu’il ait pour moi quelques attentions. Voilà ce que ma petite-fille ne veut pas comprendre. Au lieu de me savoir bon gré de ce que pour elle je me suis confiné dans ce désert, elle ne fait rien pour m’y rendre la vie supportable.

— Votre château est pourtant délicieusement situé, mon oncle.

— Je vous l’accorde, mais quand on aime peu la campagne et qu’il faut renoncer à la chasse, on se trouve ici bien isolé. Pas la moindre ressource au village, la ville est éloignée…

— Pourquoi ne vendez-vous pas le château, mon oncle ?

— C’est ce que je ferais bien volontiers ; mais je serais forcé d’en demander une somme qu’on trouverait énorme, car il est grevé d’hypothèques, ceci soit dit entre nous, et, ayant du vendre autrefois par parcelles le domaine ennronnant, je ne trouverais pas d’amateur qui consentit à donner pour l’habitation seule et le jardin la somme qui me serait nécessaire. Dans le temps, ma bellesœur me transmit des propositions que, dans mon intérêt, j’aurais peut-être bien fait d’accepter ; nos ressentimens d’ancienne date ne