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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/122

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REVUE DES DEUX MONDES.

Il y allait de ma position et de mon honneur. Frances est violente et personnelle, vous le savez, mais elle est généreuse en même temps et compatissante. Elle-même m’offrit de réaliser une grande partie de son avoir pour boucher cet affreux trou. Je dus accepter, n’ayant pas le choix, me réservant d’ailleurs de la rembourser, et je lui assurai en garantie après ma mort la possession du château de Werve.

— Mais enfin Frances est votre petite-fille, la seule qui vous reste,… ou bien n’ai-je pas entendu dire, général, que vous aviez aussi un fils ?

— Mon fils,… il est mort, me dit-il d’une voix étrange, il ne s’est jamais marié, que je sache ; du moins il ne m’a jamais demandé d’autorisation. Si donc il avait des enfans, ils seraient illégitimes… Enfin vous comprenez maintenant pourquoi je ne puis vendre le château sans l’assentiment de Frances ; après ma mort, mes créanciers ne pourront en prendre possession sans avoir à compter avec elle.

Voilà par exemple, me dis-je, un trait que tante Sophie n’avait pas prévu. C’est en réalité sous les pieds de Frances qu’eût éclaté la mine préparée par elle de si longue date pour faire sauter le vieux von Zwenken. J’avais donc à côté de moi un type d’égoïsme raffiné, profondément méprisable, cachant ses honteux calculs sous les dehors d’une bonhomie et d’une largeur de manières dont tout le monde eût été la dupe. Devais-je m’étonner désormais si Frances avait tant d’aversion pour les formes ?

— Mais, repris-je, ne craignez-vous pas qu’après votre mort votre petite-fille ne soit tristement déçue quand elle verra que le gage laissé par vous en nantissement de sa créance est déjà grevé si lourdement ?

— Que vous dirai-je ? mon cher, nécessité n’a pas de loi, et j’espère toujours vivre assez pour relever ma fortune.

À son âge, et par quels moyens ? me disais-je en moi-même. Tout à coup je pensai au paquet qu’il avait été chercher à la poste. J’avais cru le voir en retirer une longue liste de chiffres en gros et moyens caractères ; c’étaient probablement des papiers relatifs à quelque loterie étrangère. Et c’est là-dessus que le malheureux comptait pour rétablir ses affaires !

— Mon neveu, me dit-il brusquement comme si une idée lumineuse lui eût traversé le cerveau, s’il est vrai qu’Overberg vous ait parlé de la possibilité de vendre avantageusement le château, il ne serait pas mauvais que vous-même prissiez la peine de sonder les sentimens de Frances sur ce chapitre. Il me semble que vous avez quelque influence sur elle, et nous serions bien allégés, si vous parveniez à lui ôter son idée fixe.

— Soit, mon oncle, je lui en parlerai.