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LE MAJOR FRANS.

— Et vous pourrez ajouter que, si je peux aller vivre dans quelque endroit où je trouverais quelque société, la compagnie du capitaine me serait beaucoup moins nécessaire.

Je n’eus heureusement pas besoin de répondre. Nous rentrions au château, le second déjeuner était annoncé, le capitaine en personne nous reçut d’un air joyeux, Frances n’était pas de retour, et nous nous mîmes à table sans l’attendre. Elle ne reparut que pour le dîner. Sa toilette très simple, mais de fort bon goût, et qui faisait admirablement valoir sa beauté, me ravit. Il semblait qu’elle voulût me donner à comprendre que le major Frans se relirait décidément devant Frances Mordaunt. D’autre part, il y avait dans ses manières quelque chose de concenti’é et de gêné. Elle ne gourmandait plus le capitaine, qui de son côté umltipliait les marques de soumission. Le dîner cette fois était simple, quoique suffisant ; on avait seulement préparé un petit extra pour le vieux général, qui ne demanda pas de vin fin, mais se dédommagea aux dépens de l’ordinaire, dont il engloutit bien deux bouteilles sans sourciller. Il mangea en proportion. Décidément la seule différence avec le capitaine, c’est qu’il n’avouait pas rondement comme lui que, le plaisir de la table étant la plus grande jouissance de la vie, il ne vivait plus que pour son ventre. Je commençais à me sentir la plus complète répulsion pour mon grand-oncle.


VI.


Le repas terminé, comme j’avais suivi ma cousine au salon, nous fûmes rejoints par uolf, qui nous confia que le général entrerait le surlendemain dans sa soixante et onzième année, que dans cette prévision il avait fait quelques préparatifs, mais que, voyant le peu de succès qu’ils avaient eu le matin, il hésitait à les continuer. Frances lui dit de faire à sa guise, mais le lui dit d’un ton distrait et comme indifférent. Puis, comme il nous avait quittés enchanté de la permission obtenue, et au moment où j’allais faire compliment à Frances de sa charmante mélamorphose, elle allégua le besoin de grand air et me quitta brusqueuient pour se rendre au jardin. Je ne voulus pas perdre cette bonne occasion, et je ne tardai pas à la rejoindre. Nous nous dirigeâmes droit vers la ruine dont je vous ai déjà parlé et d’où nous pouvions espérer de contempler les splendeurs du soleil couchant, mais ce fut à travers des ronces, des broussailles, et comme si ma cousine eût préféré en tout la voie la plus directe, au risque de se déchirer à chaque pas, et par antipathie pour les chemins tournans et aplanis qui conduisent au but sans inconvénient. Je ne pus m’empêcher de lui en faire la remarque, surtout lorsque, les broussailles étant enfin dépassées, nous