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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/128

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qu’on m’avait dit qu’on préférait cette orthographe en Angleterre, sir John ne recevait plus de lettres de change comme auparavant. C’est à elles qu’il avait dû jusqu’alors de pouvoir tenir sa maison sur le pied luxueux auquel il était accoutumé. Il aurait du adopter un genre de vie plus simple, il n’eut pas cette sagesse, et depuis lors il mangea son capital.

J’avais cru devoir mettre ma tante Ellénor au courant de ce qui m’était arrivé. L’excellente femme me répondit affectueusement, m’envoya un second cadeau de cinquante livres avec beaucoup de sages exhortations, et me promit que, si je continuais à profiter et à me conduire avec droiture, elle me ferait venir à Londres près d’elle. La même année, une maladie du cœur l’enleva brusquement, et je n’entendis plus parler de ma famille d’Angleterre. Cependant Mlle Chelles, ma gouvernante, avait su gagner mon affection. Elle m’avait détournée des exercices masculins, qui si longtemps avalent été mes seuls’plaisirs. Nous faisions de longues promenades pendant lesquelles elle m’entretenait de choses sérieuses dont personne ne m’avait jamais parlé. Par elle, j’appris à connaître les malheureux, les pauvres, et la joie qu’on pouvait puiser dans l’exercice de la bienfaisance. Elle éveilla en moi le sens du beau dans la nature ; elle m’inspira des sentimens religieux et me décida à recevoir l’instruction d’un pasteur. Peut-être aurait-elle réussi à extirper tout à fait le « major Frans, » qui revenait encore mainte fois sous les robes et les châles de Frances Mordaunt ; mais ne voilà-t-il pas nourrice qui devient jalouse de l’affection qu’elle m’avait inspirée ! Pour comble de malheur, Rolf revient avec le grade de lieutenant en second, et il tombe amoureux de ma gouvernante ; mais ma pauvre Chelles n’avait pas la moindre inclination pour « ce soudard, cet ogre, » comme elle l’appelait, qui lui faisait des peurs atroces et qui lui fit connaître ses intentions d’une telle manière qu’elle se vit amenée à déclarer à mon père qu’elle quitterait la maison, si Rolf y remettait les pieds. On trouva cette prétention exorbitante. Mon grand-père et mon père prirent le parti de Rolf. Moi-même, encore incapable de comprendre les scrupules de ma gouvernante, je les trouvais exagérés, et je n’étais pas tellement convertie que la perspective de recouvrer mon entière liberté ne plaidât encore secrètement contre elle. Mon père d’ailleurs voyait une économie dans le départ de la gouvernante. Bref, celle-ci partit pour la France avec une famille où elle fut agréée en la même qualité.

Je redevins donc « le major Frans. » J’accompagnais mon père dans ses promenades à cheval, et je voyais qu’il tirait une certaine vanité de mon talent d’écuyère. Je le suivais aussi à la chasse ou dans des courses en voiture où je conduisais moi-même, toute fière