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Il me mena dans les sociétés de notre petite ville. J’étais vexée toutes les fois qu’il s’occupait des autres femmes, mais je me gardais bien de le lui laisser voir. Nous eûmes aussi quelques réceptions, des dîners, et les dames de la ville furent tout étonnées de la façon dont le major Frans faisait les honneurs de sa maison. L’hiver tirait à sa fin, et il avait été résolu qu’aux premiers beaux jours nous irions tous ensemble visiter le château de Werve. Mon grand-père était revenu, et je vis bientôt avec dépit qu’il ne partageait pas mes sympathies pour lord William. Je ne tardai pas à en savoir la raison.

J’étais par une belle matinée de printemps sur mon balcon, un livre à la main, mais ne lisant pas, lorsque j’entendis mon grand-père et mon père, assis sur un banc qui se trouvait précisément au-dessous de moi, parler de lord William et de ma personne en termes qui excitèrent ma curiosité au plus haut point.

— Elle s’affiche avec lui, vous dis-je, répétait mon grand-père d’un ton de mauvaise humeur, et lui ne s’occupe que d’elle. À votre place, j’exigerais de lui qu’il se déclarât et que vous pussiez désormais la présenter comme sa future.

Mon père éclata de rire. — Major, lui dit-il, à quoi pensez-vous ? William, dont les intentions sont d’ailleurs parfaitement honnêtes, a été à l’école avec moi, il est plus jeune que moi de deux ou trois ans tout au plus, et Frances court sur ses dix-sept ans.

— Qu’importe ? on lui en donnerait davantage, et je vous répète qu’elle est folle de lui. Comment ne vous en êtes-vous pas aperçu ?

Bless me ! reprit mon père. Sachez donc, major, que William est marié, et que je lui sais bon gré au contraire de s’être institué le mentor de Frances ; elle en avait bon besoin.

— En vérité vous êtes trop naïf, sir John,… ou bien d’une sécurité que je ne m’explique pas.

— Vous la partageriez, major, si vous connaissiez William comme je le connais. Gentleman jusqu’au bout des ongles, monsieur, et si je lui laissais entrevoir le moindre soupçon de ce genre, il ne resterait pas une heure chez nous. Et puis il est généreux, très généreux, je lui dois certains égards. Du reste son séjour au milieu de nous touche à sa fin. Il doit retourner à Londres pour assister aux séances de je ne sais plus quelle société d’antiquaires dont il est président. L’affaire désagréable qui l’a décidé à passer quelque temps sur le continent est à peu près arrangée. Il craignait un procès scandaleux, des médiateurs sont intervenus. Sa femme, qui voyage dans le midi avec sa famille, lui a écrit une lettre très humble, où elle implore le pardon et l’oubh. Il m’a dit qu’il n’avait pas encore pris de résolution, mais qu’il lui répugnait de demander le divorce ; probablement donc…