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LE MAJOR FRANS.

différence qui me déconcerta. Elle se retira de très bonne heure, et j’en fis autant, ne me souciant pas de rester seul avec Rolf. Toute la nuit je me perdis en conjectures sur la signification de ce changement d’humeur ; de nouveau je me jurai à moi-même que le jour qui venait mettrait un terme à mes indécisions. Au déjeuner, Frances, d’humeur un peu moins sombre que la veille, nous dit qu’elle avait reçu d’Utrecht une lettre du docteur D…, qui lui donnait de très bonnes nouvelles de la malade à laquelle elle s’intéressait. Je voulais proposer à ma cousine une bonne promenade dans les bois : mais à peine étais-je descendu de ma chambre, où j’étais remonté pour faire un petit bout de toilette (excusez, cher ami, il ne faut rien négliger dans les grands momens), que j’aperçus Frances en habit d’amazone, et cette fois avec un joli chapeau à voile bleu, qui se dirigeait vers son beau cheval Tancrède, amené tout sellé par le fils du fermier.

— Sacrifiez-moi cette fois votre promenade, lui dis-je non sans une certaine impatience qui ne put lui échapper.

Elle me regarda étonnée et se tut, tout en jouant avec sa cravache.

— Yous pourrez bien monter dans une heure, dis-je en insistant.

— C’est que ma course doit être longue, et il me faut revenir pour le dîner.

— Alors remettez-la à demain. C’est pour la première fois que nous pouvons faire une bonne promenade ensemble depuis la maladie de votre grand-père. Ne me refusez pas ce plaisir.

— Vous aimez toujours à déranger mes plans, Léopold.

— J’ai aujourd’hui de sérieuses raisons, Frances ; croyez-moi, demain il serait trop tard.

— Vraiment ? vous devenez menaçant, dit-elle en essayant de sourire. Qu’il soit fait pourtant selon votre volonté, — et elle jeta sa cravache avec un petit mouvement de dépit ; — mais attendez que j’aie passé une autre robe, on ne se promène pas à pied en amazone.

Tancrède fut donc renvoyé, et en moins de rien je vis ma cousine reparaître sans avoir fait le moindre sacrifice à la coquetterie féminine. — Et où allons-nous, mon cousin ?

— Mais dans le bois, je suppose.

— Yous avez raison ; le temps est superbe ; dirigeons-nous vers le rond-point.

J’étais donc résolu à parler ; mais comment entamer la brûlante affaire ? Elle-même semblait se complaire à me parler de mille autres choses. Enfin je dus l’interrompre et lui annoncer que je devais retourner définitivement à La Haye.