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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/310

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je m’y attendais, Léopold.

— Et… cela vous fait-il… un peu de peine ?

— Je devrais vous répondre non pour opposer à votre sotte question une réponse digne d’elle.

— Mais je… reviendrai, si vous le trouvez bon.

— Non, Léopold, je ne le trouve pas bon. Il aurait mieux valu que vous partissiez le jour où je vous l’ai conseillé pour la première fois.

— Vous ai-je donc été à charge, Frances ?

— Vous savez bien que non. Vous savez bien que je vous ai toute sorte d’obligations, que vous avez été bon, franc, empressé avec moi ; enfin vous m’avez gâtée, et j’aurai plus de peine à me refaire à la solitude.

— Pourtant, si je reviens,… et que je revienne… avec… avec une corbeille de mariage ?..

— Au nom du ciel, et pour qui ?

— Pour qui donc, si ce n’est pour ma bien-aimée cousine Frances Mordaunt ?

— Voilà une mauvaise plaisanterie, monsieur ; vous savez bien que votre cousine Mordaunt ne se mariera pas.

— Voyons, Frances ! Lors de notre première rencontre sur la bruyère, quand vous m’avez jeté à la tête vos idées sur ce point, je n’avais aucune raison pour vous en détourner ; mais vous savez bien qu’aujourd’hui ce n’est pliss de même. Vous vous rappelez avec quelle franchise je vous ai signalé ce qui me paraissait enlaidir votre noble et beau caractère. Croyez-vous que je me serais permis de pareilles libertés, si dès lors je n’avais pas conçu l’espoir que vous ne refuseriez pas toujours de devenir… ma femme ?

Le mot, le grand mot était lâché.

— Eh bien 1 Léopold, me dit-elle en soupirant, vous me forcez à vous répéter mon dernier avertissement. Cela ne se peut pas, cela ne doit pas être.

— Et pourquoi donc, Frances ? Me serais-je trompé en pensant que je ne vous suis pas tout à fait indifférent ?

Elle détourna la tête, mais je surpris quelque chose comme un soupir dissimulé.

— Est-ce que peut-être vous ne seriez plus libre ? lui demandai-je doucement en lui prenant la main et en me plaçant devant elle pour voir son visage.

— Assurément je suis libre, répondit-elle avec une certaine amertume. J’ai fait tout ce qu’il fallait pour cela ; mais je dois rester indépendante, il le faut.

— Ah ! je comprends, Frances ! m’écriai-je transporté d’une absurde jalousie, vous attendez encore votre lord William !..