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LE MAJOR FRANS.

— Elle est comme cela, me disait-il ; dans une heure d’ici, elle regrettera ce qu’elle a dit, j’en suis sûr ; l’orage est trop violent pour durer.

Mais ma résolution était prise. Je montai dans ma chambre et je fis mes paquets, lentement, je dois le dire, et toujours écoutant si personne ne venait frapper à ma porte, comme naguère. Personne ne s’avança.

J’étais malheureux au-delà de toute expression. Comment ! la même femme aux pieds de laquelle je m’étais agenouillé une heure auparavant et dont j’avais baisé les mains avec ivresse s’était élancée sur moi comme une furie et m’avait repoussé avec mépris ! En y réfléchissant, je devais m’avouer qu’en effet j’aurais pu procéder plus franchement avec elle. J’eus un instant l’idée de lui céder tous mes droits à la fortune de la tante Sophie ; mais cela n’eût servi qu’à nous vouer tous à la gêne. Je me promis, une fois arrivé à Z…, de lui faire parvenir un exposé complet de la situation et la lettre de la tante que par délicatesse j’avais gardée par devers moi. J’y ajouterais quelques mots d’éclaircissement, et je ne doutais pas que, revenue à des dispositions plus calmes, elle ne finît par me rendre justice.

C’est aussi ce que je fis ; mais comme ces documens formaient ensemble un paquet très lourd pour la poste, je le confiai au garçon de l’hôtel pour le remettre au commissionnaire qui partait tous les jours pour le château. Je me flattais d’un prompt et heureux changement. Je passai tout le jour suivant dans un attente fiévreuse, et quand la nuit survint sans qu’aucun message me fût parvenu, quand après une nuit sans sommeil je vis s’écouler la matinée sans aucun indice qu’on désirât mon retour au Werve, je m’abandonnai au plus complet découragement. Je n’eus plus qu’une idée, faire en toute hâte à Z… ce que je devais pour que toutes les formalités légales fussent remplies, et retourner au plus vite à La Haye. Je cachai à Overberg ma rupture avec Frances, je lui dis qu’une affaire pressante me rappelait chez moi sans retard, je signai toutes les pièces qu’il me présenta, et je pris congé de lui en lui promettant que je reviendrais le plus tôt possible. En réalité, je ne me sens pas bien. J’ai soif d’être chez moi, de me retremper dans mes chères occupations, je ne sais quel poids m’oppresse.


IX.
Z. — Juin 186..

Mon cher ami, j’ai de nouveau quitté La Haye. J’ai fait une maladie, une sérieuse maladie. J’ai été atteint d’une fièvre nerveuse qui pendant plusieurs jours m’a enlevé la connaissance du monde