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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/138

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trouvait sur la ligne de feu. Ne fallait-il pas songer à ce que l’artillerie ennemie » (on comprend qu’il s’agit de l’artillerie anglaise) ferait de la ville et de ses trésors ? Il faut plutôt se rappeler ce que fut cette retraite, les arbres sciés, les villes minées, les usines sabotées, l’effroyable et minutieux ravage d’une province : on goûtera mieux l’exquise hypocrisie de ce scrupule. La Tour servit encore à couvrir cette retraite. On voulait pouvoir démentir tout ce mal fait sans nécessité, répondre aux questions par un sauvetage retentissant. Ce fut le rôle de l’Exposition du Pauvre diable.

Les magasins du Pauvre diable, à Maubeuge, sont une maison de confections, que l’armée allemande avait depuis longtemps réquisitionnée pour son usage. C’est là qu’elle transporta le dépôt des œuvres d’art sauvées des régions libérées. Le musée de Saint-Quentin était resté fermé pendant l’occupation. Peu de visiteurs avaient eu le privilège de l’admirer, et c’est ce qui avait fait craindre que les chefs-d’œuvre n’eussent disparu. L’Empereur pourtant les vit, et les lecteurs de cette Reçue n’ont pas oublié à ce propos la brillante fantaisie de M. Henri Lavedan [1]. A Maubeuge, on serait plus à l’aise. On pourrait admettre plus de monde, faire plus de publicité. On inviterait tous les neutres : on leur montrerait une attendrissante Allemagne, si douce, artiste, chérie des Muses...

Nous savons assez bien ce que fut cette exposition. Les Allemands eux-mêmes ont pris soin de nous en instruire [2]. Un officier de réserve, le lieutenant Keller, fut chargé de l’installation. Au lieu d’un grand hall de commerce, on vit une enfilade de petits salons Louis XVI, le salon blanc, le salon rose, le salon vert, où furent placés avec art les ouvrages exposés. Le lieutenant Keller est un excellent tapissier. Le livret de l’exposition ne se lasse pas d’admirer un si bel arrangement. Il fait remarquer que tout le travail fut l’ouvrage de la main-d’œuvre militaire. Nous savions que le soldat allemand est un emballeur de premier ordre.

Le « clou » de l’exposition, c’étaient les pastels de La Tour. Mais ce qu’il y eut de nouveau, ce fut le principe de les replacer

  1. Voir les Portraits-enchantés dans la Revue du 15 mai 1918.
  2. Das Museum Au Pauvre Diable zu Maubeuge, Austellung der aus St-Quentin und Umgebung gerelleten Kunstwerken, itn Auftrage eines Armee-Oberkomando, herausgegeben von Dr Ehr. von Hadeln, Lieut, d. Res. Stuttgart, 1917.