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des turbulences, des vanités, des élégances ; il s’est dépouillé, assagi, un peu ratatiné : visage vieilli, grisonnant, fané, qui ne conserve de commun avec les portraits de la jeunesse que la vie du regard, mais combien anxieuse, et celle des lèvres, mais amères et déçues.

Ses biographes ne tarissent pas d’anecdotes sur son compte. De son vivant même, il avait sa légende. C’était une réputation bien établie d’original, ce qui veut souvent dire un homme mal élevé. L’enfant gâté du siècle en profite pour en être un peu l’enfant terrible. Il se plaît à étonner le monde par des impertinences, ce qui lui donne l’attitude d’un homme « franc et vrai. » Comme il faisait le portrait de Louis XV, le roi cherchait fort civilement à l’entretenir de son art : « Vous avez raison, Sire, mais nous n’avons point de marine. » Au Duc de Bourgogne : « Vous vous laissez toujours duper par des fripons, vous autres ! » A quelqu’un qui vient de la part de Mme de Pompadour : « Dites à Madame que je ne vais pas peindre en ville. » Il prétendait qu’il n’allait à la cour que pour dire leurs vérités « à ces gens-là ; » mais on le soupçonne, dans ses saillies, d’être surtout un malin qui songe à la galerie et qui soigne son personnage de bourru. Il est fort difficile de le prendre pour un Alceste. D’ailleurs, il se savait tout permis. Voltaire lui écrit : « Mon cher Apelle ; » Jean-Jacques, que son portrait « lui rend en quelque. façon l’original respectable. » Des évêques, un cardinal sollicitent l’honneur de le voir peindre. La poste lui apporte des billets de femme : « Mon héros !... Être à vous ou n’être à personne !... » Il a été en France le premier de ces portraitistes dont la vogue n’est égalée que par celle de certains médecins ou de certains confesseurs, et qui tient en effet à ce que chacun attend d’eux quelque chose d’intime, de personnel. Il y a toujours un secret entre le modèle et son peintre. Les femmes savent bien qu’elles n’en ont jamais qu’un. Une société peut avoir plusieurs artistes distingués, qui en essaient le portrait ; elle n’a qu’un portraitiste en qui elle se reconnaisse et qui soit né pour elle, comme elle est faite pour lui.

Le rusé Picard ne l’ignorait pas, et ne se faisait pas faute d’abuser de la situation. On ne finirait pas de conter ses caprices, ses fantaisies, ses. rebuffades. L’histoire est fameuse de la séance chez Mme de Pompadour : le peintre demande la