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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/152

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avouer que ce genre de charades suppose une grande part de convention, qu’on admet que le modèle ne sera représenté qu’a demi, sous certaines réserves, et ne se trahira qu’autant qu’il le veut bien. On ne laisse voir que la façade. Quel charme nouveau a ce déshabillé de Mlle Salé, « comme elle est chez elle ! »

C’est bien cette intimité qui nous ravit encore dans le Président de Rieux, où tout est calculé pour nous montrer dans le magistrat les mœurs, les habitudes d’esprit de l’ « honnête homme, » et dans le portrait immortel de Mme de Pompadour, environnée de ces accessoires, de ce fouillis d’objets dont chacun est parlant et raconte les goûts, la personne morale du modèle : les livres favoris, le recueil des eaux-fortes et des pierres gravées (Pompadour sculpsit), l’alto jeté sur un divan et dont on croit entendre vibrer le dernier soupir. Je n’aurai garde de refaire la description de cette œuvre illustre, après Sainte-Beuve et les Goncourt. Il suffira de dire que cette « manière » de La Tour fit événement dans l’école : comparez les portraits de la Montespan par Mignard avec ceux de la Pompadour par Boucher, soit le portrait d’Edimbourg, soit celui qui vient d’entrer au Louvre avec la collection Schlichting, — vous comprendrez que dans l’intervalle est venu l’art de La Tour.

Poursuivons la comparaison, la chose en vaut la peine, et sur des exemples précis. C’est sans doute un mince personnage dans l’histoire que le comte Philippe Orry de Vignory, ancien capitaine de dragons qui devint sous Fleury intendant de Soissons, de Lille, du Languedoc et enfin contrôleur général des Finances. Son administration a laissé peu de traces, mais nous avons la bonne fortune que ce ministre ait été peint deux fois dans sa vie et par deux grands artistes, par Hyacinthe Rigaud vers 1735 et dix ans plus tard par La Tour. Le portrait de La Tour est au Louvre. Celui de Rigaud a disparu, mais il en reste une excellente gravure de Lepicié ainsi que deux copies à Versailles. Vous y verrez que le grand siècle avait créé pour son usage un langage magnifique et d’un tour oratoire, un luxe de métaphores, de draperies, de colonnades, tout un vocabulaire de périphrases qui, sans altérer la vérité, la parent, la relèvent et l’ennoblissent. Le ministre est représenté debout, en grand manteau de cérémonie, dont les plis