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Restout du Louvre ou l’admirable Louis de Silvestre, un de ces chefs-d’œuvre que fait un artiste quand il peint un artiste, l’inventeur Loriot, type de chercheur râpé et de maniaque famélique à côté du spectre bizarre de sa nouvelle machine, — et des femmes, la musicienne Mme de Mondonviile, en maîtresse de maison qui reçoit, le bonnet à ruches noué sous le menton, se retournant vers ses auditeurs, le coude appuyé sur son clavecin, après le morceau qu’elle vient déchanter : ou cette autre chanteuse du. musée de Saint Quentin, dans son délicieux corsage rose, la main gauche errant sur les touches, l’autre main soutenant la tête, le regard coulé hors du cadre et comme indifférente la partition ouverte, rêvant à quoi, — est-ce qu’on sait ? avec cet œil de chatte, ce joli œil de velours qui sent les planches et qui, dans la nouvelle Mme de la Pouplinière, révèle la Deshayes, la fille de Mimi Dancourt, l’héroïne de ce bon tour de la plaque de cheminée dans l’hôtel de la rue de Richelieu.

Cet art des indications infaillibles, cet art de lire dans la nature et d’y faire lire le spectateur par dessus son épaule, ce sens immédiat de la vie et ce don de la rendre directement, dans les termes les plus nets et dans la plus lucide prose, font toujours l’intérêt de l’œuvre de La Tour. Arrêtons-nous ici un moment pour en prendre une idée d’ensemble.

En général, et quelle que soit l’importance de l’ouvrage, la peinture de La Tour est une peinture « assise ». Je veux dire que rien n’y est plus rare que le modèle debout, et alors il n’est presque toujours représenté qu’en buste. Les jambes, dans cet art, sont visiblement considérées comme un organe insignifiant. Je ne vois, dans l’œuvre entière de l’artiste, qu’un exemple d’un personnage dont il ait peint les pieds, et ce sont ceux de la Pompadour : rappelez-vous ces pieds charmants, croisés légèrement l’un sur l’autre et sortant à demi de mules du lilas le plus pâle ; rappelez-vous une phrase de Taine sur l’Ariane du Vatican, ou simplement le vers de Musset :


Que, quand on voit le pied, la jambe se devine,


et enfin ces paniers énormes où l’on cadenassait les infantes, et ce mot gravement burlesque de je ne sais quel chambellan, « qu’une reine d’Espagne n’a pas de jambes. « Il suffit d’un