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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/156

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chefs-d’œuvre aux maîtres ombriens ou toscans du XVe siècle, — marque dans la figure le trait qui la différencie, le caractère invariable par où elle s’isole ; la face, où ce caractère s’atténue, est le siège des relations humaines ou des organes qui y servent, regard, parole, sourire ; l’un est absolu, l’autre sociable ; le premier est le signe d’une construction permanente qu’aucune passion n’altère, la seconde est mobile et revêt toutes les nuances de l’expression...

Ces têtes se présentent en pleine clarté. L’essai de clair-obscur qui séduisit les débuts de l’artiste, dans le portrait de l’Abbé Huber, il n’y est jamais revenu. On ne voit pas dans son œuvre ces figures captivantes et devinées à demi qui émergent d’un bain d’ombre. La proportion de l’obscur, qui dans les portraits de Reynolds l’emporte de beaucoup sur le clair, et ne laisse souvent en saillie qu’une partie du visage au milieu d’un flot de ténèbres, est réduite par La Tour aux quelques accents inévitables qui résultent de la forme elle-même et sans lesquels il n’y a plus de dessin. Après avoir tant fait pour rendre l’atmosphère, il en vient, en termes de peintre, à supprimer l’ « effet. » Cet « effet, » qui est presque tout dans la peinture anglaise, finit par disparaître du programme de ce définisseur si fin de l’expression humaine. Dans les œuvres de sa maturité, je ne vois guère que cet étonnant portrait de Louis de Sylvestre où l’éclairage vienne partager à peu près également les parties lumineuses et les parties ombrées : encore s’agit-il là d’un prodigieux exercice de modelé dans l’ombre, de poursuite de la forme par le reflet dans la demi-teinte, gageure d’artiste à laquelle convenait le plus admirablement du monde la laideur corpulente et joviale du modèle. Mais le fait est rare. Dans un vrai La Tour, vous ne trouverez même jamais une coiffure, le chapeau à grands bords dont Rubens et van Dyck parent leurs cavaliers, le heaume surprenant dont Rembrandt surmonte l’Homme au casque, ni même la fameuse visière de carton vert dont Chardin, dans le pastel du Louvre, abrite ses yeux aigus sous leurs larges besicles, c’est-à-dire aucun de ces petits artifices dont un peintre se sert pour créer des accidents piquants, amuser l’œil par de l’imprévu et prêter à la forme l’intérêt pittoresque. Impossible, on le voit, d’écarter plus résolument les questions secondaires, de circonscrire plus nettement le sujet d’un portrait et de le réduire avec plus de