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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/165

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là plus mûr, plus majestueux, plus attendri, plus incertain.

A côté de ces œuvres d’une poésie éternelle, on tremble de placer les souriants ouvrages de La Tour : auprès de ces monuments qui marquent des moments immortels de la pensée humaine, ces petits fragments de La Tour paraissent frêles. Les premiers sont des œuvres de signification universelle, les autres ne valent que pour un instant. Tous les sourires de La Tour sont-ils la monnaie de l’unique sourire de Léonard ou du sourire, — hélas ! à jamais évanoui, — qui était la parure angélique de Reims ?

Sans doute, on pourrait dire que le sourire du XVIIIe siècle est une philosophie, qu’il a été la forme qu’une société raffinée a prêtée à l’échange et à la critique des idées. On peut y voir l’expression de l’urbanité suprême qui fit le charme du siècle de la c(douceur de vivre. » On peut y voir le détachement désabusé de ces voluptueux qui eurent le sourire sous le couteau de la guillotine... Je crois pourtant qu’il s’agit ici d’une chose toute différente. Il ne s’agit même pas de l’esprit de La Tour : personne n’a moins cherché à se mettre en frais d’esprit, du moins dans ses tableaux, et à ajouter de son fonds ce qui n’était pas dans les choses. S’il en était ainsi, toutes ses figures souriraient de même : nous ne verrions partout que la même grimace stéréotypée, au lieu d’un musée de sourires.

Il y en a d’heureux, il y en a de languissants, il y en a d’espiègles, il y en a de sots. Celui de la Camargo n’est pas celui de la Favart, ni celui de la Puvigné n’est celui.de Mlle Fel. Celui-ci retrousse la bouche, celui-là ne fait que l’entr’ouvrir ; un autre n’est qu’une caresse, une idée de sourire, on ne sait quelle grâce plus tendre qui émeut la beauté. Il y a l’éclat de rire niais de la divette professionnelle, et l’épanouissement sain de l’honnête femme. La Tour, qui était homme à systèmes, avait fait cette remarque que l’organisme porte la trace de l’usure produite par le métier et que cette altération d’un membre se répercute dans tous les autres. On ne voit pas que les personnes presque toutes oisives qui étaient ses modèles prêtent à l’expression d’une vérité de ce genre. Leurs têtes, on l’a dit, se passent fort bien de corps. Tout ce qu’elles ont de vie et de tempérament borde les lèvres, éclaire ou assombrit les yeux. C’est autour de ces points prodigieusement mobiles que le peintre concentre toute sa puissance d’observation. Le sourire