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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/212

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— de Massenet (Hérodiade), de M. Richard Strauss et de M. Mariette. Un de nos confrères a pris soin récemment de rappeler que les Evangélistes avaient traité les premiers ce sujet, ajoutant que d’ailleurs ils l’ont manqué, parce qu’ils n’étaient pas artistes.


 « Segniùs irritant animos demissa per aurem
Quam quœ sunt oculis subjecta... »


En français : « L’esprit est moins vivement irrité par les choses que les oreilles entendent, que par celles que voient les yeux. » Cela se peut. Et le contraire n’est pas impossible. Enfin il arrive encore que l’un et l’autre sens éprouvent à la fois le même déplaisir, et le communiquent à l’esprit. Et voilà justement l’impression mixte que nous causa le spectacle et l’audition de la Tragédie de Salomé.

Le décor, unique, représente, éclairé de lueurs étranges, le palais d’Hérode à Jérusalem, énorme bâtisse badigeonnée de vert et de rouge, d’un rouge et d’un vert à faire crier, ou s’écrier, avec Joad, mais dans un autre sentiment : « Quelle Jérusalem nouvelle ! »

Au premier plan et sur son trône assis, enveloppé d’étoffes somptueuses et retombantes, immobile et le menton appuyé sur la main, Hérode contemple d’un œil concupiscent la fête chorégraphique, et d’abord collective, ordonnée et surveillée par Hérodiade. On dirait, non pas Ubu-Roi, de joyeuse mémoire, mais plutôt un roi hébété. Au fond, le Baptiste regarde aussi, mais d’un tout autre œil et même d’un œil contraire. Puis il se relire et regagne sa prison. Salomé paraît à son tour et danse un voluptueux, un frénétique solo. Le tétrarque s’anime, s’allume et finit par se précipiter sur sa trop séduisante belle-fille. Jean revient et maudit le couple impur. Sa tête est aussitôt demandée, accordée, coupée et présentée sur un plat à la demanderesse. Orage, désordre des éléments et des personnages, signes dans le ciel et sur la terre. Enfin, et là serait, a-t-on dit, la nouveauté dramatique, peut-être symbolique, de l’histoire, on voit se dessiner et se peindre sur la toile de fond comme sur un écran cinématographique, une, deux, trois, quatre, mettons une demi-douzaine de têtes énormes et sanglantes, lesquelles nous parurent moins d’un saint Jean-Baptiste que d’un saint Pierre vieux et fatigué. L’adage « quot capita, tot sensus » ne s’applique point ici, car le sentiment de ces chefs nombreux est le même. Il n’est pas beau.

La musique de M-Florent Schmitt passe assez généralement pour puissante. Il ne serait pas impossible que cette puissance, extérieure et seulement apparente, consistât surtout dans le poids, la masse et