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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/215

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sans nous opprimer. La polyphonie, la vraie, c’est ici que vous la trouverez. Serrée, et non pas épaisse, l’air et la lumière s’y jouent. Elle se partage entre cinq voix, qui lui suffisent, et dont l’entretien ou le dialogue harmonieux assure sa richesse, sa plénitude et sa variété. Paisible encore une fois, et sereine, il s’en faut cependant qu’une telle musique soit inanimée. Un souffle vigoureux la soutient et par moments l’exalte. Réfléchie, ou rêveuse, active ensuite et même passionnée, elle connaît, diraient les pédants, les deux modes ou les deux états, statique et dynamique, tour à tour. Les thèmes en sont peut-être moins remarquables par l’étendue que par l’intensité. Peu de notes les composent, mais caractéristiques ; plutôt que des formes très développées, de brèves, mais expressives formules, quelque chose comme des appels ou des accents. Aussi bien, chez les anciens et chez les modernes, dans leurs œuvres et leurs chefs-d’œuvre même, les exemples abondent de ces abrégés ou de ces raccourcis. C’en est un, — nous l’avons observé naguère, — que le thème d’Ulysse dans la Pénélope de M. Fauré. Et l’ictus initial de la symphonie en ut mineur, qui n’a que quatre notes, en est un autre, et sans doute le plus sublime de tous.

Il convient d’ajouter que la brièveté des éléments premiers ne compromet jamais ni l’ampleur ni l’unité de ces pages, les plus belles de l’œuvre. Elle n’y introduit également ni raideur ni sécheresse. A des périodes de tension, des moments de relâche et d’abandon succèdent. Ainsi le charme par endroits tempère la force et l’attendrit.

La seconde partie du quintette, un peu longue, a pour unique sujet un motif de zortzico (mélodie basque, à cinq temps). Le thème y est moins développé, travaillé, que ramené sans cesse, sous des dehors, avec des atours, des ornements renouvelés à l’infini. L’harmonie, encore plus que le ton et le mode, est l’ouvrière ingénieuse, infatigable, de ce perpétuel renouveau. Quant au dernier morceau, bien que l’ordre ou l’économie générale nous en ait paru plus incertaine et l’élaboration plus difficile à suivre, nous ne le trouvâmes point indigne du premier. Nous en attendions surtout les pages finales, cette coda, que les grands maîtres de la symphonie et de la musique de chambre illuminent d’une flamme suprême et transforment parfois en apothéose. La péroraison n’a pas trompé notre espoir. Elle achève et couronne l’ouvrage par un de ces rudes combats, de ces conflits pathétiques où le musicien, aux prises pour la dernière fois avec les formes et les forces sonores, paraît enfin triompher d’elles et leur arracher leur secret.